31/01/2011
LesEchos
Si un gène contient une partie des secrets de la vie, comment pourrait-il n'être qu'une molécule, c'est-à-dire un morceau de matière non vivant ? » Le biologiste philosophe Henri Atlan adore les paradoxes. Comment un collier de perles chimiques peut-il contenir les informations commandant le développement et le fonctionnement d'un organisme complet ? Dans son dernier ouvrage (« Le Vivant post-génomique », éditions Odile Jacob), cet ancien médecin de l'Hôtel-Dieu à Paris s'interroge sur les structures vivantes et les capacités d'auto-organisation spontanées de la matière.
Le biologiste français n'est pas seul à s'intéresser à ces concepts, dont certains ont un indéniable goût de science-fiction. Quel serait le statut d'une cellule artificielle désormais à portée d'ordinateur ? Quels sont les agents physicochimiques responsables des comportement sociaux ? Où se situe la frontière entre le normal et le pathologique ? Autant de sujets qui vont agiter la communauté des chercheurs pendant plusieurs années. Il y a du Nobel dans l'air, et on se bouscule sans vergogne dans les laboratoires.
De l'autisme à l'altruisme
C'est dans les neurosciences que la situation est la plus ardue . « Comment passe-t-on de l'autisme à l'altruisme », se demande Richard Ebstein, de l'Université hébraïque de Jérusalem. Pour ce spécialiste de la cognition, ces deux états antagonistes sont les deux faces d'un même paramètre : la capacité d'un individu à ressentir de l'empathie pour autrui. Ce chercheur s'est spécialisé dans la détection des échanges d'information qui rythment nos vies d'animaux sociaux. Certains de ces signaux comme le langage, les gestes ou les mimiques sont évidents. D'autres sont invisibles. Le biologiste américain s'intéresse aux messages cachés « qui remontent aux débuts de l'humanité et peuvent être liés à des récepteurs chimiques de nos cellules ».
Chez le campagnol, la chimie décide du destin familial de ce modeste rongeur. Aux Etats-Unis le campagnol existe sous deux versions : l'un est un adepte des champs et l'autre un amateur des prairies. Le premier est fidèle à sa compagne et gère son foyer consciencieusement. Il est sociable et du genre politiquement correct. Le second est tout le contraire : volage, solitaire, polygame, négligent avec ses petits. Ce sont deux hormones bien identifiées qui contrôlent ces comportements : l'ocytocine et la vasopressine.
Richard Ebstein n'hésite pas à faire le parallèle avec les humains : « Sarah Palin, qui vit heureuse en famille en Alaska, serait en quelque sorte le représentant des campagnols des champs et Bill Clinton pas très porté sur la vie de famille, serait le campagnol des prairies. » Pour le biologiste américain, il n'y a aucun doute : ces deux hormones « ont un rôle prouvé dans la communication sociale ». Leurs gènes ont été localisés sur le chromosome 20 et on commence à évoquer un médicament miracle gérant la sociabilité ou la mauvaise humeur des humains. « On pourrait avoir des gouttes nasales qui seraient prescrites à des gens souffrant de stress social », anticipe le biologiste américain.
Micro-organismes artificiels
La biologie synthétique est l'autre frontière qui commence à s'ouvrir. Là encore, promesses et inquiétudes sont au programme des chercheurs et des comités d'éthique. Selon François Kepes, un des pionniers français de la discipline, cette technologie émergente est « un futur poids lourd économique ». Certains experts font déjà des prévisions colossales : 1.000 milliards de dollars à l'horizon 2026. Cette fois, c'est l'industrie chimique qui est concernée. Des micro-organismes artificiels capables de produire à la demande des hydrocarbures, des protéines, des molécules complexes ou des agents catalytiques sont dans les tuyaux de tous les grands laboratoires. « C'est une nouvelle page de la biologie qui est en train de s'ouvrir, comme la chimie de synthèse autrefois », résume Pierre Tambourin, qui dirige le Genopole à Evry.
En fait, cette nouvelle biologie ambitionne tout simplement de se substituer à la bonne vieille chimie de papa, polluante et vorace en énergie. Une chimie écologique où les fermenteurs en acier inoxydable remplaceront les vapocraqueurs noirs et fumants. A quand cette révolution ? Pour de nombreux experts, la biologie de synthèse s'apparente plus à l'informatique qu'à l'industrie lourde et la transition pourrait être très rapide.
C'est le chercheur américain Craig Venter, déjà créateur du premier virus artificiel, qui a mis le feu dans la maison biologie. En annonçant l'an dernier la mise au point d'une cellule équipée d'un génome artificiel, il a confirmé les promesses du « Lego » génético-biologique. « Pour faire une cellule, il faut tout au plus quelques centaines de composants élémentaires construits sur la chimie de six atomes : carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore et soufre », rappelle Antoine Danchin, de l'Institut Pasteur. Reste maintenant à savoir « jusqu'où on peut ne pas aller trop loin », selon la formule de Pierre Tambourin.
En théorie, un génome artificiel peut être équipé de verrous génétiques empêchant sa réplication dans la nature. « Il s'agit d'une nouvelle chimie imitant le vivant avec sécurité », affirme Jean-Loup Faulon, directeur de l'institut de biologie systémique et synthétique d'Evry. Selon cet expert, c'est simple : « plus c'est artificiel, plus c'est sûr ». En d'autres termes, une bactérie sortie d 'un ordinateur n'aurait aucune chance de résister aux pièges et aux dangers de la vie sur Terre.
ALAIN PEREZ, Les Echos
Le biologiste français n'est pas seul à s'intéresser à ces concepts, dont certains ont un indéniable goût de science-fiction. Quel serait le statut d'une cellule artificielle désormais à portée d'ordinateur ? Quels sont les agents physicochimiques responsables des comportement sociaux ? Où se situe la frontière entre le normal et le pathologique ? Autant de sujets qui vont agiter la communauté des chercheurs pendant plusieurs années. Il y a du Nobel dans l'air, et on se bouscule sans vergogne dans les laboratoires.
De l'autisme à l'altruisme
C'est dans les neurosciences que la situation est la plus ardue . « Comment passe-t-on de l'autisme à l'altruisme », se demande Richard Ebstein, de l'Université hébraïque de Jérusalem. Pour ce spécialiste de la cognition, ces deux états antagonistes sont les deux faces d'un même paramètre : la capacité d'un individu à ressentir de l'empathie pour autrui. Ce chercheur s'est spécialisé dans la détection des échanges d'information qui rythment nos vies d'animaux sociaux. Certains de ces signaux comme le langage, les gestes ou les mimiques sont évidents. D'autres sont invisibles. Le biologiste américain s'intéresse aux messages cachés « qui remontent aux débuts de l'humanité et peuvent être liés à des récepteurs chimiques de nos cellules ».
Chez le campagnol, la chimie décide du destin familial de ce modeste rongeur. Aux Etats-Unis le campagnol existe sous deux versions : l'un est un adepte des champs et l'autre un amateur des prairies. Le premier est fidèle à sa compagne et gère son foyer consciencieusement. Il est sociable et du genre politiquement correct. Le second est tout le contraire : volage, solitaire, polygame, négligent avec ses petits. Ce sont deux hormones bien identifiées qui contrôlent ces comportements : l'ocytocine et la vasopressine.
Richard Ebstein n'hésite pas à faire le parallèle avec les humains : « Sarah Palin, qui vit heureuse en famille en Alaska, serait en quelque sorte le représentant des campagnols des champs et Bill Clinton pas très porté sur la vie de famille, serait le campagnol des prairies. » Pour le biologiste américain, il n'y a aucun doute : ces deux hormones « ont un rôle prouvé dans la communication sociale ». Leurs gènes ont été localisés sur le chromosome 20 et on commence à évoquer un médicament miracle gérant la sociabilité ou la mauvaise humeur des humains. « On pourrait avoir des gouttes nasales qui seraient prescrites à des gens souffrant de stress social », anticipe le biologiste américain.
Micro-organismes artificiels
La biologie synthétique est l'autre frontière qui commence à s'ouvrir. Là encore, promesses et inquiétudes sont au programme des chercheurs et des comités d'éthique. Selon François Kepes, un des pionniers français de la discipline, cette technologie émergente est « un futur poids lourd économique ». Certains experts font déjà des prévisions colossales : 1.000 milliards de dollars à l'horizon 2026. Cette fois, c'est l'industrie chimique qui est concernée. Des micro-organismes artificiels capables de produire à la demande des hydrocarbures, des protéines, des molécules complexes ou des agents catalytiques sont dans les tuyaux de tous les grands laboratoires. « C'est une nouvelle page de la biologie qui est en train de s'ouvrir, comme la chimie de synthèse autrefois », résume Pierre Tambourin, qui dirige le Genopole à Evry.
En fait, cette nouvelle biologie ambitionne tout simplement de se substituer à la bonne vieille chimie de papa, polluante et vorace en énergie. Une chimie écologique où les fermenteurs en acier inoxydable remplaceront les vapocraqueurs noirs et fumants. A quand cette révolution ? Pour de nombreux experts, la biologie de synthèse s'apparente plus à l'informatique qu'à l'industrie lourde et la transition pourrait être très rapide.
C'est le chercheur américain Craig Venter, déjà créateur du premier virus artificiel, qui a mis le feu dans la maison biologie. En annonçant l'an dernier la mise au point d'une cellule équipée d'un génome artificiel, il a confirmé les promesses du « Lego » génético-biologique. « Pour faire une cellule, il faut tout au plus quelques centaines de composants élémentaires construits sur la chimie de six atomes : carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore et soufre », rappelle Antoine Danchin, de l'Institut Pasteur. Reste maintenant à savoir « jusqu'où on peut ne pas aller trop loin », selon la formule de Pierre Tambourin.
En théorie, un génome artificiel peut être équipé de verrous génétiques empêchant sa réplication dans la nature. « Il s'agit d'une nouvelle chimie imitant le vivant avec sécurité », affirme Jean-Loup Faulon, directeur de l'institut de biologie systémique et synthétique d'Evry. Selon cet expert, c'est simple : « plus c'est artificiel, plus c'est sûr ». En d'autres termes, une bactérie sortie d 'un ordinateur n'aurait aucune chance de résister aux pièges et aux dangers de la vie sur Terre.
ALAIN PEREZ, Les Echos
LesEchos